Au cours des dernières années, les bandes originales de films et les nouveaux artistes de musique classique ont respectivement connu un regain de cool et une exposition nouvelle auprès du grand public. La prochaine décennie couronnera-t-elle le genre dont l’ancêtre, jadis, occupait les oreilles de la noblesse du Vieux Continent ?
Lourd héritage, boulevard à creuser
Pour un public de non-initié.es, tout ce qui relève de la musique classique au sens strict du terme se résume à Mozart, Beethoven, Schubert, voire à des bandes originales de films composées par John Williams (Star Wars) ou Alexandre Desplat (Harry Potter, La Forme de l’Eau, L’Étrange Histoire de Benjamin Button). Grossièrement résumé, des mélodies virtuoses au piano et des symphonies chevaleresques. Mais au début des années 2010 et alors que la musique électronique vit une nouvelle petite révolution auprès du grand public, un artiste allemand nommé Nils Frahm va réunir les conservateurs férus des grands compositeurs et les clubbeurs invétérés. L’album Spaces est un succès critique et commercial, le monde de l’industrie musicale salue le génie digne descendant de Tchaïkovski (le mentor de son professeur en était l’un des plus brillants élèves, NDLR), et le modern-classical comme tout un tas de styles affiliés profitent des projecteurs. Une petite revanche de la pop sur ce genre résolument de niche. Au sens historique du terme.
Comprendre le passé…
La musique classique est avant tout affaire de privilège. Du latin “classicus” qui signifie littéralement “citoyen de première classe”, on évoque avant tout la population à qui s’adresse non pas le genre, mais l’art tout entier. On la considère durant la Renaissance comme savante donc par essence opposée à la musique populaire que les ménestrels transmettent sur la route de bourg en bourg à travers toute l’Europe. Pensée, réfléchie et développée avec la plus haute précision par une caste de personnes cultivées et donc à même de la retranscrire sur papier, la musique classique n’échappe pourtant pas à son caractère “profane” que lui apposent fidèles croyant.e.s et autres ecclésiastiques. Elle y survivra.
Entre le XVème et le XVIIème siècle, les artistes de la Renaissance – notamment en Italie – confèrent un regain d’intérêt pour l’Antiquité romaine et grecque. Sans vergogne, ils piochent l’inspiration dans les cultures oubliées pour façonner un socle solide à exploiter pour la musique. Il ne s’agit pas tant de copie grossière voire de vol, mais comme l’expliquait le réalisateur Kirby Ferguson lors d’une conférence (et de façon plus détaillée dans son documentaire Everything Is A Remix), il est question de comprendre comment l’Humain se réapproprie l’histoire de l’art et son passé.
… pour mieux envisager l’avenir.
Adam de la Halle, Guillaume Dufay, Johannes Ockeghem, Giovanni Pierluigi da Palestrina, Heinrich Schütz… De la fin du Moyen Âge puis durant toute la Renaissance, une génération de compositeurs prépare le terrain aux grands noms de l’époque “baroque”, où l’irrégularité et la liberté de création s’épanouissent davantage. C’est l’époque de Haendel, Vivaldi, Bach, durant laquelle ces derniers développent la polyphonie et le contrepoint, soit l’écriture musicale sur partition telle qu’on la connaît aujourd’hui. Le Quatrième Art semble prêt à accueillir celui qui sera sans doute son plus grand génie, ainsi que ses contemporains tout aussi salutaires.
La période classique constitue les fondements de ce que nous connaissons de la musique aujourd’hui. Mozart, Beethoven et Schubert marquent le temps de leurs empreintes et influencent directement la période romantique portée par Chopin, Schumann, Wagner et Tchaïkovski. Le temps passe à une vitesse folle et le constat se fait ahurissant : les orfèvres de la musique classique dissimulent bien malgré eux celle des temps anciens, comme s’ils marquaient le début d’une frise chronologique. Rien d’étonnant à une époque encore orpheline de la musique enregistrée, qui ne débarquera qu’un siècle plus tard. Occupé par deux guerres meurtrières, le monde se reconnecte à la musique durant les années 50, avec la fameuse “musique contemporaine” qui prend ses racines dans le blues. Viennent finalement le rock, la musique électronique et le hip-hop, aujourd’hui sur les toits du monde. Le reste appartient à l’histoire.
À lire également
Le modern-classical, produit de niche voué à devenir “pop” ?
Bien qu’on l’associe depuis à un bien culturel de grande consommation comme le cinéma, la musique classique semble se réserver à un public averti, d’un autre temps, et s’efface auprès des masses. Comme si ces dernières boudaient ce genre qui leur a longtemps été refusé. Seulement voilà, tout est recommencement et des esprits brillants ne l’entendent pas de cette oreille. Bien que des maisons de disques comme RCA Red Seals Records ou encore Deutsch Grammophon (respectivement propriétés de Sony et Universal) possèdent depuis plus d’un siècle leur statut privilégié au sein de l’industrie, les indépendants ont depuis une petite décennie repris la tête de la course.
Très prisée des aficionados, la maison Erased Tapes (Nils Frahm, Ben Lukas Boysen, Anne Müller, Peter Broderick) a déjà atteint un certain prestige en livrant très régulièrement des pépites expérimentales entre musique électronique et orchestrations classiques. Un travail qui influence les plus petits dont certains commencent aussi à tirer leur épingle du jeu. C’est le cas de Moderna Records, petit label montréalais qui capitalise sur des premières sorties, dont les projets multi-artistiques (sound design, visual art) se réclament d’une mise en œuvre long-termiste, mais surtout réservée initialement à une audience exigeante, donc de niche. Pourtant, l’accessibilité de son catalogue est au rendez-vous, ce qui lui vaut en seulement cinq ans d’existence une popularité grandissante.
Des grandes institutions qui signent les plus grands (Max Richter, Alison Balsom, Seong-Jin Cho) aux plus humbles maisons qui revitalisent le genre en signant les noms symboliques de demain (Nils Frahm, Ólafur Arnalds, Mike Lazarev, Ed Carlsen, Julia Gjertsen, Alice Baldwin), ce que l’on appelle aujourd’hui communément le modern-classical s’apprête sans doute à jouer sa plus belle partition au cours de la prochaine décennie.
Partager :
- Cliquez pour partager sur Facebook(ouvre dans une nouvelle fenêtre)
- Cliquez pour partager sur LinkedIn(ouvre dans une nouvelle fenêtre)
- Cliquez pour partager sur Reddit(ouvre dans une nouvelle fenêtre)
- Cliquez pour partager sur Twitter(ouvre dans une nouvelle fenêtre)
- Cliquez pour partager sur Pinterest(ouvre dans une nouvelle fenêtre)
- Cliquez pour partager sur WhatsApp(ouvre dans une nouvelle fenêtre)
- Cliquer pour envoyer un lien par e-mail à un ami(ouvre dans une nouvelle fenêtre)